Maltraitances : le lien filial doit-il être privilégié envers et contre tout ?
En janvier 2013, le corps de la petite Inaya était retrouvé enterré dans la forêt de Fontainebleau (77). Agée de moins de 2 ans, elle est décédée suite à de lourdes violences commises par ses parents. Monsieur Grégoire Compiègne et Madame Bushra Taher Saleh, actuellement détenus, seront jugés du 29 octobre au 6 novembre prochain devant la Cour d’Assises de Melun.
Afin de poursuivre son combat pour l’amélioration du système de protection de l’enfance, l’association L’Enfant Bleu s’est constituée partie civile dans cette nouvelle affaire de maltraitance. Elle dénonce une fois de plus les manquements et dysfonctionnements des différents intervenants et interpelle à nouveau sur les mesures qui permettraient d’éviter autant que possible ce genre de drame.
Affaire Inaya : des négligences coupables, 3 enfants victimes
L’avocat de l’association, Maître Vanina Padovani, plaidera dans ce procès et pointera notamment la légèreté des décisions de certains intervenants dans cette terrible affaire, dont Inaya n’est pas la seule victime. Nathan et Yaelle (1), les deux autres enfants du couple, ont également subis des violences constantes. Ce sont d’ailleurs des suspicions de maltraitances sur Nathan, frère aîné d’Inaya, qui donnent l’alerte, avec une information préoccupante déposée par l’école du petit garçon en septembre 2012, puis par l’Education nationale en octobre 2012.
Alors que la famille était suivie par les services sociaux depuis 2008, la situation de danger n’a pas été sérieusement évaluée. Placés une 1ère fois en 2010 dans une famille d’accueil, Inaya, alors âgée de quelques mois, et son frère Nathan seront remis à leur famille en août 2011. Pourtant, il apparait que les droits de visite organisés le week-end durant cette période de placement ne témoignent d’aucune amélioration de la relation : lorsque les enfants sont ramenés auprès de leur famille d’accueil, ils présentent des marques de griffures et des bleus.
Depuis son retour au domicile familial, personne n’a revu la petite Inaya. Les 5 rendez-vous organisés avec les travailleurs sociaux se font systématiquement en l’absence de la petite fille, sans que les intervenants sociaux ne s’en inquiètent.
Les parents, placés en garde à vue en janvier 2013, finissent par avouer le décès de leur fille Inaya, suite à un traumatisme crânien par coups portés et/ou secouements dans le cadre de violences régulières. Incarcérés, ils se rejettent mutuellement la responsabilité de sa mort. Ils encourent 30 ans de réclusion criminelle.
Nathan, 7 ans, et Yaelle, 5 ans, font tous les deux l’objet d’un suivi psychologique, et Nathan est sous traitement médicamenteux afin de l’aider à s’endormir et à se calmer.
Comme le souligne Maître Vanina Padovani, avocate de l’association L’Enfant Bleu : « Une nouvelle fois, des dysfonctionnements ont causé la mort d’une enfant et brisé la vie de deux autres. Mais ce qui nous apparait le plus grave dans cette affaire, c’est la décision du retour des enfants auprès de parents défaillants qui se sont joués des services sociaux. Inaya et Nathan avaient retrouvé un équilibre auprès de « Vivi », l’assistante familiale, que la petite fille ne cessait de réclamer depuis son retour au domicile familial.
L’association L’Enfant Bleu pose clairement la question : les liens du sang doivent-ils être systématiquement privilégiés ? La protection de l’enfance tend toujours aujourd’hui à privilégier le lien filial. L’intérêt des enfants, le respect de leur intégrité, ne sont pas toujours pris en compte. Cette petite fille serait toujours vivante – et sans doute heureuse – si elle était restée auprès de sa famille d’accueil ».
Mieux protéger les enfants maltraités, c’est possible si on s’en donne les moyens !
L’association L’Enfant Bleu a récemment formulé des propositions concrètes pour que ces drames soient évités (2) et rencontre les institutions pour une amélioration du système de la protection de l’enfance (3) :
Une meilleure formation des professionnels de la protection de l’enfance
Michel Martzloff, Secrétaire Général de L’Enfant Bleu, précise : « Nous sommes bien entendus conscients de la surcharge de dossiers dont pâtissent les travailleurs sociaux mais la protection de l’enfance ne peut souffrir d’aucune approximation. Dans l’affaire Inaya, la question du manque de formation spécifique et d’expérience de certains intervenants se pose »
Des enquêtes de terrain plus poussées, avec obligation de rencontrer à chaque visite au domicile familial au moins l’un des parents avec présence systématique des enfants
« L’absence d’Inaya lors de toutes les visites de contrôle aurait dû alerter les enquêteurs et les inciter à pousser plus loin leurs investigations pour s’assurer du bien-être de la fillette ».
Au regard de cette nouvelle affaire, L’Enfant Bleu soutient et précise deux propositions (4) :
> Recentrer les prises de décision sur l’intérêt de l’enfant et non pas privilégier le lien filial, lorsque les parents sont clairement identifiés comme étant négligents et maltraitants
« Inaya a été placée très tôt dans une famille d’accueil grâce à la vigilance d’une puéricultrice. Son retour au domicile familial, un peu plus d’un an plus tard n’avait pas lieu d’être. Les parents ont été jugés aptes à récupérer leurs enfants placés sur des critères insuffisants (logement plus grand, accompagnement d’une technicienne d’intervention sociale et familiale) et le suivi a été défaillant »
> L’harmonisation au plan national de toutes les procédures liées à la protection de l’enfance
« Cela paraît à peine croyable mais chaque département est libre de sa politique en matière de protection de l’enfance. Les déménagements successifs dans différents départements de la famille ont brouillé les pistes (5), il a fallu repartir de zéro et un temps précieux a été perdu ».
Contact presse
Jean-Michel ABOU : 06.08.71.34.30
1 – Les prénoms des frères et sœurs d’Inaya ont été changés
2 – Propositions formulées durant l’affaire Bastien, en septembre 2015
3 – Une proposition de loi relative à la protection de l’enfant est actuellement en discussion au Parlement
4 – Feuille de route pour la protection de l’enfance 2015 – 2017, Ministère des Affaires Sociales, de la Santé et des Droits
des femmes – Juin 2015
5 – Ce qui avait déjà été le cas dans l’affaire Marina : rapport Grevot 2014